Le mystère des carpes

qui disparaissent

Des carpistes montbéliardais tirent la sonnette d'alarme.
Un trafic viserait à piller les plans d'eau publics

de très belles pièces pour approvisionner
des plans d'eau privés.

MONTBELIARD. Les "
monstres " des eaux du Pays de Montbéliard, ces grosses
carpes pesant jusqu'à 20 kilos
pour certaines seraient-elles
pourvues d'ailes qui leur per-
mettraient de changer de
plan d'eau, de nuit et à leur
guise? La réponse ne fait pas
l'ombre d'un doute.Pourtant,
certains carpistes ont été
confrontés à de curieuses
découvertes. C'est notamment
le cas d'un jeune pêcheur
montbéliardais qui était allé
faire quelques emplettes chez
un détaillant haut-saônaois.
"j'ai vu la "pizza"en photo.
Elle avait été pêchée dans un
plan d'eau du Territoire de
Belfort...",
raconte le jeune
homme à ses amis. La "pizza
", c'est le surnom d'une carpe
miroir de 19 kilos parfaite-
ment identifiable par certaines
de ses grosses écailles. Or,
cette "Pizza"est connue pour
être pensionnaire des
eaux de Brognard, un véri-
table mythe, la pièce que chaque pêcheur rêve d'accro-
cher à son palmarès.
"C'est un poisson qui à 35 ans
au moins. Il nous arrive de le
pêcher mais nous le remettons
toujours à l'eau. Cela corres-
pond à notre éthique de la
pêche qui ne vise pas à tuer le
poisson. On le pêche, on prend
une photo et on remet la prise
à l'eau".
explique Serge
Ramstein, membre de
l'APPMA de Montbéliard.

Par quel mystère la "Pizza"
a-t-elle pu migrer de
Brognard vers un plan d'eau
belfortain où elle a été pêchée?
"Il existe un trafic organisé",
répond Serge Ramstein qui
poursuit:"Et ce n'est pas un
cas isolé. Nous avons recensé
au moins 20 poissons de
grande taille qui ont ainsi
disparu de Brognard, d'Essert de Bottans mais aussi de
l'Allan et du Doubs et qui se retrouvent dans ce plan d'eau
privé du Territoire de Belfort.
C'est le cas aussi de cette
carpe de 16 kilos que nous
appelon la "Manchote"
parce qu'elle présente une
anomalie remarquable, une
nageoire atrophiée qui la dis-
tingue de n'importe qu'elle
autre carpe."

Un trafic juteux
L'affaire fait grand bruit et
pas seulement dans l'Aire
urbaine et la Haute-Saône.Il
semblerait que ce type detra-
fic ait cours un peu partout.
Dans son numéro de janvier-
février 2001, Média Carpe, a
fait paraître
un dossier,
dénoncant une pratique qui
semble se généraliser dans
l'Hexagone: empoissonner des
plans privés avec des poissons
provenant du domaine public,
rachetés à des "pseudo-car-
pistes peu scrupuleux"
,
comme l'affirme la revue spé-
cialisée. La finalité est d'or-

ganiser des concours courus
des spécialistes.
"Cest un trafic qui rapporte
de l'argent. De tels poissons
peuvent être vendus entre
500 F et 3500 F la pièce"
, pré-
cise Serge Ramstein qui rap-
pelle qu'il s'agit pourtant
d'une pratique interdite par la
loi( pour ce qui est du tran-
port de poisson vivant et de sa
vente) mais qui est également
assez difficile à contrecarrer
puisque chaque pêcheur dis-
pose de son poisson à sa guise
(voir encadré).
La situation est devenue par-
ticulièrement tendue dans
l'Aire urbaine. Un tract inti-
tulé" La guerre est déclarée",
signé des carpistes en colère,
devrait prochainement être

le cas de certaines de ces
grosses carpes que l'on
connaît. On ne peut donc tolé-
rer que la situation dure plus
longtemps"
, conclut Serge
Ramstein. Le ton est donné.
Sam BONJEAN
placardé dans les magasins de
pêche. "Notre cheptel est en
train de ficher le camp. On
sait aussi que certains pois-
sons habitués à un biotope ne
résistent pas à un changement
d'eau et qu'ils périssent. C'est
Serge Ramstein pose ici avec la "Manchote", une carpe
miroir identifiable par une nageoire atrophiée. Un poisson qui
a disparu du plan d'eau de Brognard pour refaire surface...
dans le Territoire de Belfort.

"A l'encontre de l'éthique de la pêche"

Retour
MONTBELIARD._ Roland Gamberi, garde-
pêche responsable du secteur de Montbéliard,
a lui aussi eu vent de ces pratiques:"Ca fait
des années que l'on entend parler de ces his-
toires. C'est d'ailleurs un mystère difficile à
percer car nous n'avons jamais eu la moindre
preuve de ces agissements. Après tout, rien
n'empêche quelqu'un qui a pêché un poisson
dans un plan d'eau privé.Pour qu'il y ait infrac-
tion, il faudrait prouver qu'il y a eu vente.
Maintenant, s'il est vrai qu'il y a trafic, c'est
déplorable et cela va à l'encontre de l'éthique
de la pêche? Si des gens sont témoins de tels

actes, s'ils ont des noms et des preuves, ils doi-
vent nous prévenir afin que des plaintes puis-
sent être déposées et que des procédures soient
lancées à l'encontre des gens qui ce rendent coupable de ce type de trafic."
Le trafic de ces poissons trophées répond au
marché de l'offre et de la demande et dans ce
domaine, il y a pas mal de gens qui y trouvent
leur compte. Les présumés revendeurs, bien sûr, mais aussi les acheteurs. "les organi-
sateurs de concours peuvent ainsi monnayer
leur carte à la journée en offrant de telles
pièces"
, reconnait Roland Gamberi.
S.B.